Henri TOMASI (1901-1971)
Mélodies corses – Cyrnos
CD INDESENS 037
Barcode 3760039839312

Source : http://www.indesens.fr/index.php?art=47&th=56

Johanne Cassar, soprano │Laurent Wagschal, piano │Sodi Braide, piano (*)

Six mélodies populaires corses (1930)

1- Ciuciarella – 1’59

2- Vocero – 2’30

3- Chanson de la pipe – 1’25

4- Ninina 3’15

5- Lamento 1’35

6- Zilimbrina 1’02

 

Chants corses (1932)

7- Lamentu d’u trenu – 2’19

8- Sérénade complainte – 3’34

9- Nanna – 2’10

10- U Meru pastore -1’31

11 – Cantu di Malincunia (ext. des Cantu di Cirnu, 1933) – 2’53

 

Deux mélodies, sur des poèmes de Paul Fort (1932)

12- Par les dunes – 3’40

13- Cloche d’aube – 1’55

 

Clairières dans le ciel, sur des poèmes de Francis Jammes (1932)

14- Tristesses – 2’55

16- Une goutte de pluie – 2’37

 

16- Cyrnos (concerto pour 2 pianos) (*) (1929) – 19’28

 


Le chant de la terre d’Henri Tomasi

Tout artiste influencé par la lumière de la Méditerranée ne peut créer sans se référer à une terre nourricière. Cette terre peut être la source de l’exaltation de paysages. Elle peut permettre de révéler la culture et l’âme d’un peuple. Elle peut enfin, comme dans le cas du compositeur Henri Tomasi avec la Corse, représenter le fondement d’un idéal humaniste. Né à Marseille où il passa son enfance, Henri Tomasi (1901-1971) a toujours été tourné vers la grande île d’où était originaire sa famille, nommée Cyrnos par les Grecs. Dès la fin de ses études de chef d’orchestre et de composition au conservatoire de Paris, où il obtient en 1927 la plus haute récompense, le prix de Rome, Henri Tomasi consacre ses œuvres à une île dont le patrimoine populaire était alors presque inconnu en France.

C’est au cours de son voyage de noces en Corse avec sa femme Odette Camp, en 1929, qu’il compose Cyrnos. Ce poème symphonique en deux versions, l’une pour piano et orchestre, l’autre pour deux pianos – version enregistrée ici pour la première fois – n’a pas d’autre programme que quelques lignes où il célèbre la lumière et la beauté de la Méditerranée : “Cyrnos exprime les sentiments personnels de l’auteur qui tressaille au souvenir de son pays. Il se laisse inspirer par l’âme collective d’une race qui s’exhale avec sincérité du joyeux tumulte d’une tarentelle ou de la tristesse douloureuse d’un vocero. Il se penche avec amour sur ces deux seuls berceaux, s’en empare et symbolise toute l’âme corse.” Henri Tomasi exalte dans un langage musical lyrique la beauté d’une île qu’il redécouvre à travers ses mélodies populaires. Dédiée à sa femme, cette longue pièce passionnée va être suivie en 1930 de la composition de Six mélodies populaires corses. En harmonisant des chants corses traditionnels, Henri Tomasi poursuit une tradition familiale. Son père Xavier avait en effet collecté et harmonisé des chansons populaires corses, publiées en 1912 dans un recueil intitulé Corsica. Ces six mélodies pour voix et piano – pouvant être interprétées aussi bien par une voix de femme qu’une voix d’homme – sont bien sûr chantées en langue corse. Elles décrivent des situations de joie et de douleur avec beaucoup de sobriété, avec une harmonie modale et une partie de piano aux accents ravéliens. Dans cet enregistrement, après la berceuse O Ciuciarella, connue de tous les enfants corses, et le dramatique Vocero, chant de désolation où l’on entend presque le glas, la première partie se termine par l’insolite Chanson de la pipe. La seconde partie débute avec une berceuse mélancolique à l’écriture pentatonique, Ninina. C’est le terrible Lamento, déploration funèbre, qui lui succède. Le recueil se termine cependant par la chanson légère Zilimbrina.

Avec ces six mélodies, Henri Tomasi rattache la chanson traditionnelle à l’esprit musical de son temps, loin de tout folklorisme. Sa démarche ne ressemble pourtant pas à celle des compositeurs du Groupe des Six, alors intéressés par la musique populaire pour rechercher une expression gaie et orginale. Issu d’un milieu populaire, fils d’un facteur de Marseille, Henri Tomasi cherche à rendre hommage au peuple corse mais aussi à définir sa place de compositeur dans la recherche d’une musique savante accessible. Enregistrés ici pour la première fois, les Chants corses (1932) comprennent quatre mélodies traditionnelles composées dans le même esprit que les Six mélodies : Sérénade complainte, Nanna (berceuse), Lamentu d’u trenu et U meru pastore. Une harmonisation plus conventionnelle se retrouve dans un chant corse extrait d’un autre recueil, Cantu di Cirnu (Chants de Cyrnos), Cantu di Malincunia, sur un poème de Santu Casanova (1933). A la même époque, Henri Tomasi s’intéresse aussi à la poésie en langue française d’essence populaire. Il met en musique en 1932 deux poèmes de Paul Fort (1872-1960), Par les dunes et Cloche d’aube. La même année, il compose Clairières dans le ciel d’après deux poèmes de Francis Jammes (1868-1938), Tristesses et Une goutte de pluie, où se manifeste une grande mélancolie. Ces quatre mélodies, enregistrées ici pour la première fois, bénéficient d’une écriture plus inscrite dans leur époque, les années trente.

Composées de 1929 à 1933, les œuvres présentées dans cet enregistrement tracent la voie qui mènera plus tard Henri Tomasi vers la composition de ses grands opéras, notamment Don Juan de Manara (1944) et Sampiero Corso (1955). Elles sont également précieuses pour comprendre la démarche sprituelle du compositeur. Etre Corse, pour Henri Tomasi, c’est être méditerranéen. C’est se tourner vers d’autres terres. C’est exprimer un idéal de liberté, de fraternité et de justice qui se révèlera pleinement dans ses dernières œuvres, le Concerto pour guitare et orchestre dédié à la mémoire de Federico Garcia Lorca (1966), Retour à Tipasa d’après Albert Camus (1966) et la Symphonie du Tiers-Monde d’après Aimé Césaire (1968).

Les interprètes de ce disque ont été passionnés par ce répertoire peu connu. La voix chaude de Johanne Cassar permet de pénétrer dans l’atmosphère méditerranéenne de la musique d’Henri Tomasi. Laurent Wagschal, accompagné dans Cyrnos par Sodi Braide, révèle également la richesse de compositions qui, bien que de jeunesse, révèlent une grande force.

Jean-Marie Jacono – Maître de conférences à l’université de Provence


SIX MELODIES POPULAIRES CORSES
Ninni Nanna
Ninni nanna, la me diletta
Ninni nanna, la me speranza
Seti voi la me barchetta
Chì camina cun baldanza
Quilla chì nun temi venti
Nè timpesti di lu mari
Addurmentati parpena
Fate voi la ninni nanna
Quandu poi nascisti voi
Vi purtonu à battizani
La cumari fù la luna
È lu soli lu cumpari
I stelli ch’eranu in celu
D’oru avianu li cullani
Addurmentati par pena
Fate voi la ninni nanna
Berceuse
Do do do ma plus chérie
Do do do mon espérance
Vous êtes ma barque légère
Celle qui avance altière
Et qui ne craint ni le vent
Ni les tempêtes de la mer
Endormez-vous donc un peu
Mon bébé faites dodo
Lorsque vous vîntes au monde
On alla vous baptiser
La lune fut la marraine
Le soleil votre parrain
Les étoiles dans le ciel
Avaient toutes un collier d’or
Endormez-vous donc un peu
Mon bébé faites dodo
 

Canzona di a pippa
Nun ci vogliu più falane
In piaghja à coglie lu linu
Mi rumpisti annu la pippa
È quist’annu lu bucchinu
Cù la to chignaccia storta
Mi festi dannu assassinu
La mio pippa era di bussu
D’ambru finu lu bucchinu
La m’avia mandata ziu
Da lu Pede di Partinu
Di trasportu sulamente
M’era custata un cinquinu

 

Chanson de la pipe
Je n’y descendrai plus
A la plaine cueillir du lin
L’année dernière tu cassas ma pipe
Et cette année-ci, son tuyau
Avec ta figure de travers
Tu m’as fait grand dommage
Ma pipe était en bois de buis
Et en ambre fin le tuyau
Mon oncle me l’avait envoyée
De Pedipartinu
De transport seulement
Elle m’avait coûté cinq francs`

 

Vòceru
O Mattè di la surella
Di u to sangue preziosu
N’anu lavatu la piazza
N’anu bagnatu lu chjosu
Ùn hè piu tempu di sonnu
Nè più tempu di riposu
Or chì tardi, o Cecc’Antò
Ordi li trippa è budelli
Di Ricciottu è Mascarone
Tendila tutta à l’acelli
O! Chì un nuvulu di corbi
Li spolpi carne è nudelli

 

Complainte funèbre
Mathieu, frère chéri
De ton sang précieux
Ils ont lavé la place
Ils ont baigné l’enclos
Il n’est plus temps de dormir
Il n’est plus temps de se reposer
Pourquoi tardes-tu, Ceccantone
Extirpe les tripes et boyaux
De Ricciottu et Mascarone
Jette-les en pâture aux oiseaux
Qu’une nuée de corbeaux
Leur retire toutes leurs chairs

 

Ciucciarella!
O ciucciarella
Nun sai quantu ti adoru
Le to bellezze
Le to cullane in oru
Ciucciarella inzuccherata
Quant’hè longa sta nuttata
Cullà ne vogliu
Quassù per le cullette
Ci sò le capre
Le muvre e le cervette
Quassù sò li trè cunigli
Corri tù sì tù li pigli
Fai la ninna, fai la nanna
Lu to babbu hè a la campagna

 

Ciuciarella
Ma toute petite
Sais-tu que je t’adore
Tes traits jolis
Et tes beaux colliers d’or
Toute petite toute douceur
Cette nuit traîne en longueur
Je veux monter
Là-haut sur les collines
Il y a là chevrettes
Mouflons et bichettes
Là-haut sont les trois lapins
Cours voir si tu les atteins
Do do do fais donc dodo
Ton père est à ses travaux

 

Traduction Antulugia di U Cantu

 

Lamentu
Quandu n’intesi la nova
Alla ferrera d’Orezza
Mi sentìi punghje lu core
D’una acuta è cruda frezza
Or pienghjimu la so morte
È pienghjimu u nostru male
Ista mane in Alisgiani
Vecu più d’un funerale
Complainte
Lorsque j’appris la nouvelle
À la mine de fer d’Orezza
Je sentis mon cœur percé
D’une flèche aiguë et cruelle
Pleurons donc sa mort
Et pleurons notre infortune
Ce matin à Alisgiani
Je prévois plus d’un deuil
 

Zilimbrina
Ma chì voli la me figliola
Sempre dici di nò, di nò?
S’è tù voli lu vestitu
Eu ti lu cumprerò
O chì mammaccia cacaccia ch’aghju eu
Chì nun cunnosce lu male lu meu
O mamma sì
O mamma nò
Questu nun mi face prò
Ma chì voli la me figliola
Sempre dici di nò, di nò
S’è tù voli lu maritu
Eu ti lu truverò
O chì mammuccia caruccia ch’aghju eu
Ch’hà cunnisciutu lu male lu meu
O mamma sì
O mamma nò
Questu sì mi ferà prò.

 

Chant de la balançoire
Que veux-tu donc, ma fille
Tu dis toujours non et non
Si tu veux une robe
Je te l’achèterai
Ah que j’ai une vilaine mère
Qui ne comprend pas mon mal
Oui maman
Non maman
Ce n’est pas ce que je veux
Que veux-tu donc, ma fille
Tu dis toujours non et non
Si tu veux un mari
Je te le trouverai
Ah que j’ai une gentille mère
Qui a compris mon mal
Oui maman
Non maman
C’est vraiment ce que je veux.

 

CHANTS CORSES

Lamentu di u trenu
Or in Corsica lu trenu
Hè fattu per li signori
Per noi altri osteriaghji
Son dulori è crepacori
Pienghjenu li carritteri
Suspiranu li pastori t
Nun si vende più furragi
Pocu pane è micca vinu
Passanu le settimane
Nun si versa un bichjerinu
Chì ci avemu più da fà
In piaghja lu mio Angelinu!
Lamentu di u trenu
Car le train, en Corse
Est fait pour les messieurs
Pour nous, aubergistes
Ce sont douleur et crève-coeur
Les charretiers se lamentent
Et les bergers gémissent
Peu de pain, pas de vin
On ne vend plus de fourrage
Les semaines passent
Sans que nous ne servions un verre
Qu’irions-nous donc y faire
A la plaine, mon Angelinu !
Sérénade – complainte
Perchè bella è fresca veni
Quandi u sole ciotta in mare
Quandu colla da li feni
Caldi odori è canti rari,
Nude e braccie è in pettu un fiore
À guardati, lu me amore
Diventa puru è chjaru cum’è u celu
Eju ti guardu tremi allora
Cum’è a spiga in cor d’aprile
More u ghjornu è sona l’ora
Di u rusàriu à u campanile
puis les étoiles s’allument
Piatta hè a luna appettu à u monte
E nostre ànime surelle
Ad amà forse sò pronte
Ma stai zitta ed eju mi chetu
L’ombra copre la to fronte
È si piatta u nostru affettu
Cum’è a luna appettu à u monte.
Sérénade – complainte
Parce que tu viens, toute fraîche
Lorsque le soleil plonge dans la mer
Lorsque descendent des champs de foin
De chauds parfums et des chants rares,
Les bras nus et une fleur sur ton sein,
A te regarder, mon amour
Devient pur et limpide comme le ciel
Je te regarde et alors tu trembles
Comme l’épi quand vient avril
Le jour meurt et l’heure du rosaire
Tinte au clocher
Et puis les étoiles s’allument
La lune se cache derrière le mont
Nos âmes soeurs
Sont sans doute prêtes à aimer
Mais tu ne dis rien et je me tais
L’ombre couvre ton front
Et nos sentiments se cachent
Comme la lune derrière le mont.
 

Nanna
Nelli monti di Cuscioni
C’era nata una zitedda
È la so cara mammoni
Li facia la nannaredda
È quand’edda l’annannaia
Stu talentu li prigaia
Addurmèntati parpena
Aligrezza di Mammoni
Ch’aghju da allistì la cena
È da cosgia li piloni
Pà u to tintu babbareddu
È pà li to fratiddoni

 

Nanna
Dans les montagnes du Cuscioni
Il y avait une nouveau-née
Et sa grand-mère affectionnée
Chantonnait pour l’apaiser
Et tandis qu’elle la berçait
Cet avenir lui souhaitait
Endors-toi un tout petit peu
Toi la joie de ta grand-mère
Il me faut faire le repas
Et coudre les pèlerines
Pour ton pauvre petit papa
Ainsi que pour tes grands frères.

 

Traduction par Èlena Bonerandi in Antulugia di U Cantu Nustrale,  par Ghjermana de Zerbi et Mighele Raffaelli – Ajaccio, La Marge, 1993

 

 

U merre pastore
Vulemu piantà lu maghju
Cullallu fin’à le stelle
Or serà cuntenta Cecca
È più le so figliulelle
Chì nun purteranu più
Addossu le centu pelle
O Braccò la to furtuna
Avà sì s’hè discitata
Tantu l’ai cumbattuta
Ch’à la fin l’ai truvata
Era nentr’un cornu di capra
Culà stava intufunata
Or sì, sta Cecca frisgiulata
Colla è fala per u paese
È sì nimu la dimanda
Ella risponde in francese
Nun ti sai vergugnà
O risa di lu paese!
Aspettemu lu sgiò merre
Cù le pecure stu maghju
Ed allora l’elettori
L’alzeranu lu so maghju
Perchè ellu avia prumessu
Un castratu tintinnaghju.

 

Le maire berger
Nous voulons dresser le mât
L’élever jusqu’aux étoiles
Cecca sera bien contente
Et plus encore ses filles
Qui n’iront plus vêtues
De misérables haillons
Bracconi, voilà que ta chance
S’est enfin réveillée
Tu l’as tant cherchée
Que tu as fini par la trouver
Elle gisait dans une corne de chèvre
C’est là qu’elle était tapie
Voilà que Cecca toute parée
Déambule dans le village
Et quand on lui parle
Elle répond en français
N’as-tu pas honte
Toi, la risée du village !
Nous attendons monsieur le maire
Avec ses brebis pour le mois de mai
C’est alors que ses électeurs
Lui dresseront le mât
Parce qu’il avait promis
Un mouton sonnailler

 

CANTU DI MALINCUNIA
(Cantu di Cirnu)

 

Chant de mélancolie
(extrait des Cantu di Cirnu)

Cari monti diletti è colli prufumati
Ricordi suspirati di la vita
Dopu longa partita
Tornu à l’amate sponde
Ma più nimu risponde à la me voce
Ùn ci hè più quella noce
In la valle fiurita
Si n’hè andata la vita
Cù la pace
Hè notte tuttu tace
Intorn’à quelli lochi
Ùn si vede più fochi in li contorni
Ch’ella senti u me cantu
Pien di malincunìa
Chì ti chjamu o Maria in tutti i lati
Quelli patti sacrati decisi in cas’è fora
Ormai hè ghjunta l’ora d’osservalli
S’e tengu à rammintalli
Ùn hè chè per mimoria
C’hè troppu durata a storia
Di u passatu
Addiu o pegn’amatu
Un’ altra volta addiu
Ti lasciu trà l’ublìu di la notte
Chers monts adorés et collines parfumées
Souvenirs émus de ma vie
Après une longue absence
Je reviens à mes rivages aimés
Mais plus personne ne répond à ma voix
Le noyer n’est plus là
Dans la vallée fleurie
La vie s’en est allée
Avec la paix
Il fait nuit, tout se tait
En ces lieux
On ne voit plus de feux alentour
Qu’elle entende mon chant
Plein de mélancolie
Car je t’appelle, Marie, de tous côtés
Nos pactes sacrés passés au-dedans et au-dehors
L’heure est désormais venue de les respecter
Si je tiens à les rappeler
Ce n’est que pour mémoire
Car cette histoire passée
N’a que trop duré
Adieu mon trésor
Encore une fois adieu
Je te laisse dans l’oubli de la nuit
 

CYRNOS, POEME SYMPHONIQUE POUR DEUX PIANOS

“Cyrnos exprime les sentiments personnels de l’auteur qui tressaille au souvenir de son pays. Il se laisse inspirer par l’âme collective d’une race qui s’exhale avec sincérité du joyeux tumulte d’une tarentelle ou de la tristesse douloureuse d’un vocero. Il se penche avec amour sur ces deux seuls berceaux, s’en empare et symbolise toute l’âme corse.”

Henri Tomasi

 

DEUX MELODIES, SUR DES POESIES DE PAUL FORT

Par les dunes
Dans les chardons bleus, qu’elle se fait tendre,
La voix de la mer qui s’enfle au rivage
Quand saurais-je, ô nuit, ô dunes,
Comprendre le bonheur qui m’est échu en partage.
Ainsi, j’écoute, en me penchant aux fleurs
L’écho si léger du lointain murmure
Qui berce en mon âme leurs pâles couleurs.
Les dunes sans lune à moi se mesurent:
On y voit si peu que tout est mon âme
Et, n’est ce pas vous, fleurs devant les eaux
Fleurs givrées du sel de ces sables calmes
Qui peuplez d’azur mon âme aux yeux clos
D’azur et de neige et de la musique née de la mer grise
Entendue finement, fleurs
Entre vos doux entrechoquements,
Echo d’un chant venu des horizons mystiques.
Cloche d’aube
Ce petit air de cloche, errant dans le matin,
a rajeuni mon cœur à la pointe du jour.
Ce petit air de cloche, au cœur du frais matin,
Léger, proche et lointain, a changé mon destin.
Quoi ! vais-je après cette heure survivre à mon bonheur,
Ô petit air de cloche qui rajeunit mon cœur,
Si lointain monotone et perdu, si perdu,
si perdu petit air, petit air au cœur frais de la nue,
Tu t’en vas, reviens, sonne : errant comme l’amour,
tu trembles sur mon cœur à la pointe du jour.
Quoi ! la vie pourrait être monotone et champêtre et douce et
Comme est proche ce petit air de cloche,
douce et simple et lointaine aussi,
Calme et lointain ce petit air qui tremble au cœur frais du matin.
 

CLAIRIERES DANS LE CIEL, SUR DES POESIES DE FRANCIS JAMMES

Une goutte de pluie
Une goutte de pluie frappe une feuille sèche,
lentement, longuement, et c’est toujours la même
goutte, et au même endroit, qui frappe et s’y entête…
Une larme de toi frappe mon pauvre cœur,
lentement, longuement, et la même douleur
résonne, au même endroit, obstinée comme l’heure.
La feuille aura raison de la goutte de pluie.
Le cœur aura raison de ta larme qui vrille :
car sous la feuille et sous le cœur, il y a le vide
.
Tristesses
Parfois, je suis triste. Et, soudain, je pense à elle.
Alors, je suis joyeux. Mais je redeviens triste
de ce que je ne sais pas combien elle m’aime.
Elle est la jeune fille à l’âme toute claire,
et qui, dedans son cœur, garde avec jalousie
l’unique passion que l’on donne à un seul.
Elle est partie avant que s’ouvrent les tilleuls,
et, comme ils ont fleuri depuis qu’elle est partie,
je me suis étonné de voir, ô mes amis,
des branches de tilleuls qui n’avaient pas de fleurs.

 

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