Dates principales

 

I. UN JEUNE MARSEILLAIS CORSE (1901-1920)

1901 – 17 août, naissance à Marseille dans le quartier populaire de “La Belle de Mai” au 17 rue Bleu (actuellement rue Clovis Hugues). Henri est le premier enfant de Xavier Tomasi et de Joséphine Vincensini, tous deux corses, originaires de la région de la Casinca.

1905 – Installation à Mazargues où le père d’Henri est nommé facteur des Postes. Flûtiste amateur, il “met son fils au solfège” dès l’âge de 5 ans.

1908 – Entrée au Conservatoire de Musique de Marseille. Premier Prix de solfège à 10 ans et Premier Prix de Piano à 13, l’enfant est emmené par son père dans des familles de la grande bourgeoisie où, présenté comme un petit prodige, il ressent “l’humiliation d’être exhibé comme un animal savant”.

1913 – La famille regagne Marseille et s’installe définitivement au 5 de la rue de la Loubière, à côté de l’Eglise Notre-Dame du Mont. – Empêché par son père de devenir marin, l’adolescent rejoint la mer chaque fois qu’il le peut, séchant les cours du Conservatoire pour aller nager sur La Corniche et à La Pointe Rouge. En réaction à la sévérité de son père il lit secrètement une bande-dessinée anarchiste, « Les pieds nickelés ». Tous les étés il retourne en Corse où sa grand-mère lui apprend les chants traditionnels.

1916 – Premier prix d’Harmonie, en même temps que Zino Francescatti avec qui il est ami et qui deviendra un violoniste célèbre. – La guerre différant son entrée au Conservatoire de Paris, il commence à gagner sa vie à Marseille comme pianiste dans les lieux les plus mélangés : des établissements célèbres et chics comme l’Hôtel Noailles et le restaurant La Réserve, des Maisons closes, “Chez Aline”, “Chez Adèle”  et les premiers cinémas, “Le Saint-Ferréol”,  “Le Femina”  etc. Les premiers films de Chaplin, le film “Les Mystères de New York”  éveillent son intérêt pour le cinéma. Ses improvisations révèlent ses dons pour la composition. Jean Molinetti, l’ami et le confident de toute sa vie a gardé en mémoire l’une de ses premières pièces : Au bord du Djedi.

II – ETUDES ET PREMIERS SUCCES PARISIENS (1921-1938)

1921 – Arrivée à Paris. Entrée en Classe d’Harmonie au Conservatoire National de Musique rue de Madrid. Brillantes études : “Il arrivait avec une fugue hebdomadaire. C’était un travailleur infatigable, un bourreau de travail !”, dira son ami Maurice Franck. – Pourtant, le jeune étudiant, bien que boursier de la ville de Marseille et aidé par un bienfaiteur, l’avocat Maître Lévy-Oulman, était contraint de continuer à “faire du métier”, c’est-à-dire jouer du piano dans les cafés, les cinémas et l’Hôtel Lutetia. Ses professeurs ont été Charles Silver pour l’Harmonie, Georges Caussade pour le Contrepoint et la Fugue, Paul Vidal pour la Composition, Vincent d’Indy et Philippe Gaubert pour la Direction d’Orchestre.

1925 – Sa première œuvre, Variations sur un thème corse, un quintette à vent, reçoit le Prix Halphen.

1927 – Rencontre d’Odette Camp à l’Opéra-Comique en assistant à « La Bohème » de Puccini. Jeune fille de 18 ans, étudiante aux Beaux-Arts, elle deviendra elle-même une dessinatrice de grand talent. C’est cette même année qu’Henri Tomasi obtient les plus hautes récompenses, un Premier Second Grand Prix de Rome et un Premier Prix de direction d’orchestre à l’unanimité.

1928 – Débuts de chef d’orchestre aux “Concerts du Journal”. Ecrit une pièce pour piano et violon, Paghiella, créée par Zino Francescatti. – Le 30 octobre, Henri et Odette se marient à Paris où ils s’installent définitivement au 24 de la rue Victor Massé, près de la Place Pigalle.

1929 – Lors de son voyage de noces en Corse, il compose à Loretto di Casinca, dans sa région d’origine, le poème symphonique Cyrnos, pour orchestre et piano (ou deux pianos), œuvre dédiée à sa femme et remarquée par Florent Schmitt : “Il y a dans Cyrnos des idées originales, du souffle, un peu de ce lyrisme enfin, désormais si rare chez les jeunes.” – Nouvelle pièce pour violon et piano, Chant hébraïque, créée par Léon Zighera.

1931 – Avec la création de “Radio-Colonial” par Julien Maigret lors de l’Exposition Coloniale de 1931 à Paris, Tomasi devient à la fois l’un des tout premiers chefs de radio, et l’un des pionniers de la “musique radiophonique”. Tam-Tam, poème symphonique pour choeurs, soli et orchestre le fait connaître.

1932 – Il participe à la fondation de “Triton” groupe de “Musique contemporaine” aux côtés de : Henry Barraud, Marcel Delannoy, Claude Delvincourt, Pierre-Octave Ferroud, Jean Françaix, Jacques Ibert, Darius Milhaud Francis Poulenc, Jean Rivier, Tibor Harsanyi, Arthur Honegger, Filip Lazar, Igor Markevitch, Bohuslav Martinu, Marcel Mihalovici, Gustavo Pittagula, Serge Prokofieff. Le Comité d’Honneur comptait les plus illustres compositeurs du 20e siècle: Maurice Ravel, Albert Roussel, Florent Schmitt, Igor Stravinski, Béla Bartok, Alfredo Casella, Georges Enesco, Manuel de Falla, Arnold Schoenberg, Richard Strauss, Karol Szymanowski. – Il compose une nouvelle œuvre d’inspiration corse qui confirme sa notoriété, Vocero, poème symphonique et chorégraphique.

1933Chants laotiens, pour baryton ou contralto et orchestre ou piano.

1935Quatre chants de geishas, pour soprano et orchestre ou piano. Son enregistrement d’Orphée de Glück avec Alice Raveau obtient un Grand Prix du Disque.

1936 – Activité de chef d’orchestre de plus en plus intense, à Paris comme en province.

1937 – Il écrit une première œuvre inspirée par la Provence : le ballet Les Santons. Créé le 18 novembre 1938 à l’Opéra de Paris, il connut un grand succès et fit l’objet d’un film en 1946.

1938 – Compose la Ballade pour saxophone alto, créée par Marcel Mule et le Trio à cordes en ut. – Première musique de film, avec Légions d’honneur qui obtient le Grand Prix du cinéma français.

III – LA CRISE DE LA DEUXIEME GUERRE MONDIALE (1939-1944)

1939 – Crise existentielle. Tomasi s’embarque seul sur un cargo pour l’Afrique. Mais la guerre éclate et il doit revenir. Mobilisation le 15 août dans les Chasseurs-Alpins au Fort de Villefranche-sur-mer. Il est nommé Chef de fanfare.

1940 – Démobilisé, Tomasi reprend son activité de chef à l’Orchestre National replié à Marseille. Avec son épouse qui l’a rejoint, ils habitent au 151 de la Corniche. Mais il ne s’entend plus avec elle. Ils fréquentent des amis et des artistes marseillais ou qui ont fui la zone occupée : l’écrivain Roland Dorgelès, le peintre Pierre Ambrogiani, des musiciens, Jean-Pierre Rampal, Etienne Baudo, Joseph Alviset, des photographes, Albert Detaille, Henri et Gaston Manuel, etc.

1941 – Il achève sa Symphonie en ut (dirigée en 1943 par Charles Munch) ; les thèmes en sont « la lutte entre les instincts passionnels et les élans de l’âme, les souffrances de l’humanité, l’affirmation finale de la joie qui demeure. » Elle inaugure un approfondissement de sa pensée, de son art, et donne naissance aux grandes œuvres de sa maturité.

1942-1943 – C’est l’époque la plus tourmentée, dramatique de sa vie, marquée par un nouvel amour impossible et une crise spirituelle. Il fait des retraites de plus en plus prolongées au Monastère dominicain de la Sainte-Baume, près de Marseille, et décide même d’entrer dans les Ordres, ce dont son épouse Odette saura finalement le dissuader. –  Durant ses retraites, il consacre toute son énergie à la composition de son premier opéra Don Juan de Mañara (ou Miguel Mañara) sur le magnifique texte mystique du poète O.V. de L. Milosz ; ce sera un chef-d’œuvre, de même que son Requiem (1943-44), dédié “aux Martyrs de la Résistance et à tous ceux qui sont morts pour la France”.

1944 – La naissance d’un fils, Claude Tomasi, est le symbole d’un renouveau de sa vie conjugale. La fin de la guerre, avec la découverte des camps d’extermination et Hiroshima amènent le compositeur à rejeter croyance en Dieu et religions, et même, après 1946, à laisser dans l’ombre ses œuvres religieuses.

IV – UNE DOUBLE CELEBRITE EUROPEENNE (1945-1958)

1946 – L’engagement comme Premier Chef de l’Opéra de Monte-Carlo par Raoul Gainsbourg marque le renouveau d’une brillante activité de direction d’orchestre, en France (Orchestre National, Orchestres radiophoniques, Concerts Pasdeloup, Colonne, Lamoureux, etc) et à travers l’Europe, inaugurée triomphalement en Suisse avec un programme Debussy-Ravel à la tête de l’Orchestre du Concertgebouw dont il sera l’invité pendant plusieurs années pour le Holland Festival.

1947 – 1ère audition à Monte-Carlo de l’une des œuvres interprétées dans le monde entier, les Fanfares Liturgiques. Ses 4 mouvements, Annonciation, Evangile, Apocalypse et Procession du Vendredi Saint sont extraits de l’opéra Don Juan de Mañara. – 1ère Saison au Festival de Vichy où il dirigera jusqu’en 1955.

1948Concerto pour trompette : l’oeuvre la plus populaire d’Henri Tomasi, jouée et enregistrée par les plus grands solistes : Ludovic Vaillant, Maurice André, Pierre Thibaud, Wynton Marsalis, Eric Aubier, Sergei Nakariakov, Wolfgang Bauer, Philip Smith, Alison Balsom, David Guerrier, Alexandre Baty…

 1949Concerto de Saxophone, créé par Marcel Mule le 2 mars 1950, avec l’Orchestre National dirigé par Tomasi.

1950Concerto pour Alto, créé à Paris aux Concerts Colonne, avec Robert Boulay.

1951 – Nouvelle œuvre inspirée par l’Ile de Beauté, le Divertimento corsica. – Il commence la composition de son 2e opéra,  L’Atlantide, drame lyrique et chorégraphique d’après le roman de Pierre Benoit, livret de Francis Didelot. Carrière exceptionnelle de cet opéra (plus de 80 représentations) dans toute la France, dont 20 au Palais-Garnier à Paris, en Allemagne et en Belgique. Ethery Pagava, Ludmilla Tcherina, Claude Bessy, ont été quelques unes des célèbres ballerines interprétant l’impitoyable personnage d’Antinea.

1952 – Février : un grave accident de voiture interrompt pour plusieurs mois son activité de chef. – Noces de Cendres, ballet contre la guerre – Attribution du Grand Prix de la Musique française décerné par la SACEM.

1953Sampiero Corso, Drame lyrique, livret de Raphaël Cuttoli. Ce 3e opéra crée à Bordeaux en mai 1956 avec Régine Crespin est présenté la même année au Holland Festival. – Première atteinte d’une surdité qui s’aggravera jusqu’à la perte de l’oreille droite. – Lettre pour refuser la Légion d’Honneur  “aussi longtemps qu’il n’y aura pas de Conservatoire en Corse”.

1955Triomphe de Jeanne, Oratorio, texte de Philippe Soupault. Crée en 1956 à Rouen pour le 5ème centenaire de la réhabilitation de Jeanne d’Arc avec Rita Gorr et Ernest Blanc.

1956 – 12 avril : Première mondiale triomphale à Munich de Don Juan de Mañara.- Composition des Concertos de clarinette et de Trombone

1957 – Abandon de la carrière de chef d’orchestre autant à cause des épreuves physiques que pour se consacrer totalement à la composition.

1958 – Avec le grand succès public de L’Atlantide à l’Opéra de Paris, Tomasi devient la cible d’une “avant-garde”  musicale alors très intolérante, au moment même où remettant en cause ses conceptions et son langage, il va renouveler avec force sa production.

V – LA METAMORPHOSE (1959-1971)

1959Le Silence de la Mer, drame lyrique en 1 acte d’après le récit de Vercors, symbole de la Résistance, marque le début de ce renouveau, où c’est l’esprit et l’histoire mêmes du XXème siècle qui vont inspirer des œuvres puissantes à l’écriture plus contemporaine. Cet opéra de chambre fut enregistré à l’ORTF par Georges Prêtre. Création en langue allemande à l’Opéra de Berlin-Est en 1966. – Cinq Danses profanes et sacrées pour quintette à vent (ou orchestre de chambre).

1960 – Grand Prix Musical de la Ville de Paris.

1961Ulysse ou le beau périple, “Jeu littéraire et musical” d’après Jean Giono.

1962Le Concerto pour violon (Périple d’ Ulysse), dédié à Dévy Erlih et crée par lui, fut salué comme une œuvre “d’un fabuleux expressionnisme épique ” par Jacques Lonchampt dans le journal  Le Monde . – Il écrit deux pièces pour trompette et orgue (ou orchestre) Semaine Sainte à Cuzco et Variations grégoriennes sur un Salve Regina.

1963La chèvre de Monsieur Seguin, conte lyrique d’après A. Daudet, enregistré avec Michel Galabru. – Tomasi a écrit deux autres contes lyriques similaires avec chœur et soliste : M. le sous-Préfet aux champs et La mort du petit Dauphin.

1965Concerto pour flûte (de printemps) : 1ère audition à Marseille en janvier 1966, par Jean-Pierre Rampal et l’Orchestre des Concerts Classiques dirigé par Serge Baudo – L’Eloge de la Folie, d’après Erasme, “Jeu satirique, lyrique et chorégraphique” sur un livret d’Hubert Devillez. Cet ouvrage, le dernier écrit pour le théâtre, est à l’unisson avec le testament que Tomasi rédige dès 1966 : “E finita la commedia ! Enfin la paix sur cette stupide planète !”.

1966Retour à Tipasa, “Cantate profane pour récitant, choeur d’hommes et orchestre” sur un texte d’Albert Camus. Création posthume en l’Abbaye St-Victor à Marseille en 1985. L’oeuvre célèbre, par-delà l’absurde, la communion avec le monde et la solidarité avec les hommes : “Aimer le jour qui échappe à l’injustice et retourner au combat avec cette lumière conquise”. – Highlands’ Ballad ou Ballade pour harpe, a été enregistré en 1985 par Marielle Nordmann et l’Orchestre de Chambre des Solistes de Marseille dirigé par Reynald Giovaninetti.

1967 – Tomasi inscrit sa révolte contre les injustices sociales et politiques au cœur même de ses œuvres, notamment dans la Symphonie du Tiers-Monde (en hommage à Hector Berlioz).

1968 – Le même engagement s’affirme avec Chant pour le Vietnam (dédié à Ho Chi Minh) inspiré par un texte de Sartre écrit pour une exposition de photos de Roger Pic, et le Concerto de guitare à la mémoire d’un poète assassiné, F.G. Lorca, crée par Alexandre Lagoya. Il n’obtient pas l’autorisation de mettre en musique Les chaises et Le Roi se meurt, deux pièces de Ionesco, ni Le Petit Prince de Saint- Exupéry.

1969 – Termine un Concerto pour violoncelle qui sera créé par André Navarra. – Série d’entretiens avec son fils : “Autobiographie au magnétophone”. – Le 1er novembre, Henri Tomasi est frappé par un œdème pulmonaire ; il restera 10 mois en convalescence avant de retourner une dernière fois à Marseille en septembre 1970. Il écrit avec humour : “Avant la panne finale, j’ai besoin de voir la Méditerranée, ma mer, viva Mare Nostrum !”.

1970 – A nouveau “exilé” à Paris, il termine un Concerto pour contrebasse, et relit Hamlet, avec l’intention d’en faire un ouvrage lyrique. Mais il n’écrira qu’une courte pièce pour cuivres, Etre ou ne pas être. La veille de sa mort il aura le temps d’arranger pour voix de femmes a cappella le douzième de ses 18 Chants populaires de l’Ile de Corse, laissant inachevée cette transcription.

1971 – Au matin du 13 janvier, il s’éteint soudain sans souffrance, dans son appartement de Montmartre. Selon sa volonté, il ne fut pas enterré à Paris mais sous le ciel de Méditerranée, en Avignon, en la seule présence de sa famille et de Jean Molinetti son ami de toujours, “sans fleurs ni couronnes, ni cérémonies civiles ou religieuses. Enfin la paix sur cette stupide planète !”.

2001 – A l’occasion du centenaire de sa naissance, ses cendres ont été ramenées en Corse, à Penta di Casinca, le village de ses origines. Sur la stèle sont inscrites les paroles de Camus sur lesquelles s’achève Retour à Tipasa : “Au milieu de l’hiver, j’apprenais enfin qu’il y avait en moi un été invincible. O lumière, O vibrante lumière !”.

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