Henri Tomasi par Edouard Exerjean

 

 

 

Henri Tomasi a composé comme il a vécu : dans l’environnement de l’amitié. Assis dans son fauteuil blotti au creux de son piano, il donnait à ses amis, toujours avides de l’entourer, le plus beau témoignage de l’amitié : celui d’un regard pur où pétillait sa fièvre musicale. Pour lui, parler de musique actualisait un art de vivre. Son œuvre respire un don perpétuel, lié à une implacable volonté de liberté, que le Concerto pour Guitare et le poème symphonique Chant pour le Vietnam ont concrétisés.

Henri TOMASI a aimé la simplicité et la discrétion : elles ont produit d’authentiques chefs-d’œuvre, mais encore trop insuffisamment connus. La spontanéité de son inspiration a projeté dans ses œuvres une émotion qu’enrichit une écriture ensoleillée. Le méditerranéen, omniprésent, a empourpré ses pages symphoniques d’une rutilance chatoyante. Henri TOMASI a nourri une prédilection intense pour l’expression orchestrale : ” Je sens l’orchestre, je l’entends “, disait-il. Le langage symphonique correspondait à sa nature généreuse, les sons se ruant sur la partition avec une aisance remarquable. Empruntant au folklore corse, qu’il affectionnait électivement, ses accents les plus sensibles, Henri TOMASI l’a transcendé, le libérant de son caractère purement descriptif pour le colorer d’une poésie pleine de vitalité.

Bien plus, il trouva dans la voix la correspondance la plus expressive à son tempérament. Outre les mélodies délicates et pittoresques qu’il composa , ses opéras réalisent cette fusion intrinsèque de son inspiration, d’un symbolisme aux résonnances profondément humaines, et d’un contrepoint fortement typé par un rythme à la fois savoureusement disloqué et chaleureusement passionné. L’Atlantide, Sampiero Corso, et surtout Don Juan de Mañara, ce chef d’œuvre que l’Opéra de Paris devrait inscrire à son répertoire, répandent cette lumière d’azur sereine et souveraine, embrunie d’un sortilège harmonique envoûtant. De plus, l’utilisation fréquente des cuivres crée dans l’œuvre d’Henri TOMASI un mysticisme tout ensemble antique et exaltant. Les célèbres Fanfares Liturgiques, page des plus attachantes de Miguel Mañara, entretiennent ce mélange étrange de solennité et de souffrance, de combat et de victoire, de douleur et de joie.

La musique d’Henri TOMASI se réclame d’une émotion : ” Je continue à composer selon ma sensibilité et mon esthétique “, confiait-il encore récemment. A travers ses harmonies, on saisit des visions cosmiques où vibre la présence d’une âme. Henri TOMASI rejette la performance pour elle-même. Son univers sonore ne prétend pas à une démonstration philosophique ; il traduit une expression sensitive. Il tire sa quintessence d’une mélodie aux contrastes exaltés, capables des plus secrètes confidences autant que des épanchements les plus fougueux. Cette musique de chair et de sang a gravé sur la partition le souffle puissant d’un cœur qui n’a jamais cessé d’aimer.

Que ce soit le Concerto pour Violon, – rapsodie tragique et fiévreuse, – le Concerto pour Guitare, – plainte âpre et résignée d’un corps à l’agonie, – ou le Concerto pour Violoncelle, – lumineuse méditation développée en de poétiques arabesques, – la chaleur mélodique évolue à travers la souple vigueur d’une écriture qui mêle avec bonheur une science sûre à une inspiration prodigue. Chez Henri TOMASI, le lyrisme allie l’éclat d’un contrepoint ardent à la pudeur des sentiments. L’expression musicale n’affiche aucune ostentation. On y saisit plutôt une maîtrise qui ignore la sécheresse d’une architecture scolaire, mais qui exalte en revanche les nuances imperceptibles de l’émotion.

L’œuvre abondante d’Henri TOMASI clame ce qu’il fut : un homme de cœur. Esprit ouvert sur ce monde qui l’inquiétait, mais où il savait faire un choix perspicace, témoignant d’une culture qu’il considérait comme un accomplissement du cœur, Henri TOMASI n’a pas cessé d’exalter la vie. Son amitié était un don précieux, son œuvre le prolonge. Il nous appartient à présent de la mériter. Non pas adieu, cher Maître, mais merci.

Edouard Exerjean,

janvier 1971

 

X