Henri Tomasi, un grand compositeur méditerranéen
C’est dans ce même fauteuil, avec ce visage admirable dont nous voyons bien que le recueillement et les pensées intérieures touchent un monde plus beau que le nôtre, qu’au matin du 13 janvier 1971, avec cette discrétion dont la grandeur n’accompagne que certaines âmes, Henri Tomasi s’est endormi pour toujours.
Sa femme, son fils, ses parents, ses amis, tous les êtres que la Musique enchante et tous ceux que retient la clarté de notre ciel ne peuvent pas encore réaliser qu’un silence définitif ait arrêté le chant de ses inoubliables confidences.
Le pourront-ils un jour ! Nul ne le sait. La place qu’occupent dans le meilleur de nous-mêmes les êtres que nous aimons ne se montre qu’au jour de leur absence et il se trouve, alors, que nous ne pouvons en mesurer l’étendue que par celle semblable du vide qu’ils nous laissent.
Leur voix qui nous revient n’est-elle que l’écho libéré par notre souvenir de tous les mots qu’ils nous ont dits et leur présence qui, bien des fois, s’impose au point de nous surprendre, n’est-elle que le reflet, conservé par notre mémoire, de leur visage et leurs mains.
Que savoir en ces heures où le deuil nous fait vivre hors de nous-mêmes et égare notre raison, si ce n’est que le temps qui va jusqu’à effacer l’ombre des hommes garde les êtres marqués d’une étoile et nous permet d’en mieux comprendre le génie.
Bientôt, quelques notes, une simple phrase musicale du Maître Henri Tomasi diront à tous les musiciens à quelle pièce de son oeuvre immense ils doivent un enchantement.
Bientôt, Paris essayera de prendre sa gloire. Et c’est pourquoi nous ne devront jamais oublier, nous, les gens de la Provence, qu’Henri Tomasi est né à Marseille ; qu’il y est né le 17 coût 1901 dans une petite banlieue, tout près du rivage, que ses premiers jeux d’enfants s’éblouirent d’être libres dans le vent, sous le soleil, au bord des vagues ; que sa musique, en lui, fut toujours si profondément méditerranéenne qu’il nous est impossible de l’entendre sans que s’ajoutent à nos pensées les plus intimes l’image des hommes et du ciel de chez nous, que ses Grands Premiers Prix, celui de Rome, celui de la Direction d’Orchestre, sa double et brillante carrière de Compositeur et de Chef des plus hautes formations nationales et internationales, le succès magnifique de ses oeuvres lyriques, de ses ballets, de ses concertos, de ses mélodies, de sa Musique de Chambre, de ses oeuvres symphoniques, ne purent jamais lui faire oublier le clair bonheur que donne la terre provençale. Et, qu’exilé dans Paris où le retenaient ses obligations professionnelles, il chercha toujours un ciel bleu au- dessus des maisons et des arbres et que, s’il lui arrivait de le trouver certains jours, il ne put jamais se convaincre que ce ciel fût le même que celui de la Méditerranée puisque jamais un flamant ne l’avait traversé et que jamais des bergers simples, secrets et majestueux comme des Dieux antiques, n’avaient su découvrir et comprendre, en le regardant, la ligne du Destin des hommes.
De son pays de Provence, Henri Tomasi a gardé une grandeur et un équilibre admirables qui lui ont permis d’aller vers toutes les audaces sans cesser d’en demeurer le maître et de les. obliger, toujours avec une sensibilité souvent bouleversante, à ne se départir jamais de la noblesse et de l’humain.
Son ballet : les Noces de Cendres, ses Opéras : Miguel Mañara, l’Atlantide, sont, comme l’a écrit Emile Vuillermoz trois révélations d’une importance capitale dans l’histoire de la Musique contemporaine française. Et quelles réussites que tous ses autres opéras, ses oeuvres si diverses qui vont du monde sensible de La chèvre de Monsieur Seguin au Chant pour le Viet- Nam et de la Mort du petit Dauphin à la Symphonie du Tiers Monde.
Quelles oeuvres et quel œuvre !
Loin des passions, dans son repos et sa justice, le temps seul, peut classer la valeur des hommes et celle des artistes et c’est pourquoi les générations futures sauront mieux que nous le savons nous-mêmes, qu’un enfant né à Marseille, un enfant qui s’appelait Henri Tomasi et qui jouait avec le vent, la mer et le soleil, est devenu, en gardant son âme pure, l’un des plus grands compositeurs et l’un des plus beaux musiciens de son époque.
Et maintenant, pour finir, voulez-vous permettre au peintre que je suis, de penser qu’Henri Tomasi et Vincent Van Gogh sont allés avec le même éblouissement sur les routes de Provence et que sans doute, une semblable lumière et des chants pareils écoutés au pays d’Arles ou au rivage des Saintes ont fait tracer à l’un, comme l’on colore une toile, sa Suite Calendale et fait écrire à l’autre, un soir, à son frère Théo : Je voudrais composer une peinture qui serait aussi belle qu’une Musique !
Henri BONNEFOY de l’Académie de Marseille
(in Revue Marseille, 1971)