La vie méridionale, Jean Abel

Henri Tomasi

Musicien méditerranéen

Henri Tomasi est l’un des meilleurs représentants de l’art méditerranéen. Je dis, bien méditerranéen et non latin. Chacun sait que les deux ne sont pas synonymes ; car si la latinité relève évidemment du génie méditerranéen, on ne saurait par contre le limiter à elle sans en restreindre de façon considérable la signification. La latinité, précisément, ne paraît pas la qualité dominante de Tomasi. Il cherche plutôt à nous restituer ce que Gabriel Audisio appelle ” le Midi dans sa plus âpre vérité “. (” Jeunesse de la Méditerranée “).

Les oeuvres chantant les pays méditerranéens sont fort nombreuses dans sa production. Il réussira à exprimer avec justesse et intensité l’Espagne, la Provence et sa petite patrie, la Corse (c’est même le premier compositeur qui ait su vraiment en révéler l’âme). Il ne craindra pas la localisation rigoureuse du sujet, ainsi que le prouvent des titres comme : ” Idylle a Sormiou ” (” Les Folies Mazarguaises “) ou ” Les Antiques ” (” Nuits de Provence “).

Afin d’obtenir un pouvoir évocateur plus grand, le compositeur emploie parfois des rythmes, la transposition d’effets instrumentaux et des mélodies folkloriques. Mais le caractère méditerranéen de son art n’est aucunement lie à un procédé, cela va sans dire. On peut même affirmer sans crainte que Tomasi exprimera d’autant mieux ses paysages préférés qu’il aurait aisément pu se passer de l’apport folklorique sans cesser d’y parvenir pleinement.

Dès que l’on aborde son oeuvre, une constatation s’impose avec évidence : Tomasi est essentiellement un lyrique, je veux dire un passionné qui s’exprime naturellement (directement) au moyen de la musique. On remarquera que cela ne gêne en rien la composition de poèmes symphoniques ou d’ouvrages destinés à la scène (drames lyriques, ballets). D’ailleurs, pour aussi intéressante qu’elle soit, la musique pure proprement dite (musique de chambre, etc.) n’a pas dans la production de Tomasi une importance comparable à elle de la musique dramatique ou à celle de la musique descriptive, ne serait-ce qu’ au point de vue quantitatif.

Le lyrisme ainsi conçu s’avère l’une des plus sûres constantes du génie méditerranéen. Il ne ressemble guère à celui propre aux compositeurs romantiques d’outre-Rhin… Au cours du présent article, les différences se dégageront suffisamment d’elles-mêmes pour qu’il paraisse inutile de les préciser.

Tomasi est un lyrique, mais nullement un élégiaque ou un tendre bucolique. Au contraire, sa musique le révèle doué d’un tempérament dramatique au dynamisme parfois violent. Il parvient souvent à une expression très intense du tragique, du pathétique ( Noces de cendres, Sampiero Corso, etc.).

Cela n’entraîne aucunement chez lui démesure ou désordre, car son appartenance à l’art méditerranéen l’écarte de toute voie inharmonieuse.

Selon la conception de cet art, le créateur ne saurait se préserver des passions, des sentiments bouillonnants, désordonnés parfois, mais d’une richesse certaine, dont sa nature est si généreusement favorisée; il lui faut en opérer la conquête afin de les faire servir son oeuvre. C’est pourquoi aux mouvements de l’âme les plus violents, au lyrisme intense doivent nécessairement s’allier la clarté, l’équilibre, l’harmonie pour accéder à la plénitude qui, selon la pensée méditerranéenne, ne peut naître d’un chaos, aussi sublime, aussi riche de virtualités soit-il. L’oeuvre d’Henri Tomasi en constitue la parfaite illustration.

Ce musicien est naturellement favorisé sous le rapport de l’harmonie du langage, car, en vrai Méridional, il possède une parfaite aisance d’expression. En ce sens, on peut même parler d’une véritable virtuosité, particulièrement en ce qui concerne l’écriture orchestrale.

Tomasi se montre, en effet, très a l’aise dans le maniement de l’orchestre, ce qui favorise son penchant marqué pour l’évocation pittoresque. Cependant, il ne s’agira jamais d’une description à visées naturalistes mais d’une sorte de réalisme poétique, ou simplement d’impressionnisme.

Par ce dernier aspect encore se manifeste ici la pensée méditerranéenne, qui reconnaît l’importance de l’homme et même, à proprement parler, ne conçoit guère la nature qu’harmonisée. Ainsi, la musique de ce compositeur pourra être parfois très décorative mais nullement superficielle : la présence centrale de l’élément humain, qui constitue, si l’on peut s’exprimer ainsi, la référence principale de l’artiste, le gardera de se disperser dans les choses, vers lesquelles le pousse un besoin essentiel.

La plupart de ses oeuvres, effectivement, révèlent à quel point Tomasi est un artiste ouvert sur le monde extérieur, monde à qui il reconnaît pleinement une réalité intense et combien magnifique. Le musicien écoute attentivement le message de ses sens. Ils le pourvoient généreusement d’impressions vives, neuves et variées. Cette sensualité semble même l’une de ses principales sources d’inspiration. Il n’est pas exagéré de reconnaître ici un rôle important non seulement à la chaleur mais aux odeurs (je songe, en particulier, aux parfums capiteux des collines provençales l’été). Et surtout ne pas oublier la lumière, l’aveuglante, brûlante et parfois cruelle lumière du Midi.

Du reste, bien qu’il ait reçu et parfaitement assimilé un enseignement technique complet, ce compositeur se révèle essentiellement un instinctif, un concret.

Avant de conclure, il me faut nécessairement consacrer au moins quelques lignes à l’exotisme dans l’œuvre de Tomasi. En vérité, on ne saurait guère concevoir un musicien méditerranéen de France indifférent à l’autre rivage et, d’une manière générale, aux autres contrées exotiques. (Déodat de Séverac constitue à cet égard l’exception, qui confirme la règle). Pour ces artistes, en effet, se trouve là une sorte de seconde patrie spirituelle, ou presque. A proprement parler, il ne s’agit donc plus d’exotisme, au sens courant du mot… C’est bien le cas pour Henri Tomasi. Chez lui, les œuvres relevant de cette tendance sont nombreuses et pleinement significatives : Tam-Tam, L’Atlantide, la Féerie laotienne, le Concert asiatique, la Pastorale inca, etc. Il a su aborder de l’intérieur l’art de ces civilisations et l’aimer moins pour son pouvoir de dépaysement qu’à cause de sa profonde signification humaine. Avec ce musicien, il faut toujours en revenir là.

On l’a vu suffisamment plus haut, c’est le propre de l’art méditerranéen de faire à l’élément humain une place prépondérante,sans pour cela exclure les autres, au contraire : grâce a lui seulement ils parviennent à leur parfait épanouissement. Il les pénètre et établit en eux une union harmonique En dernière analyse, c’est peut-être dans la parfaite synthèse d’éléments richement variés que réside le principal intérêt de l’œuvre de Tomasi.

Jean ABEL

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