Biographie de Michel Solis
Postface de Daniel Mesguich
 pour la biographie de Michel Solis,
Henri Tomasi, un idéal méditerranéen
(2008)

 

 

La première biographie du compositeur, « Henri Tomasi, un idéal méditerranéen » par Michel Solis a été publiée en 2008 aux Editions Albiana et a obtenu le Prix littéraire de la Région Corse :

 

 

 

Une musique qui écoute

 

Tu respecteras ton père et ta mère “. En français, l’injonction biblique ne dit pas assez, assurent quelques commentateurs hébraïsants, ce qu’elle dit en vérité. Le verbe hébreu signifierait plutôt : ” à ton père et à ta mère tu donneras tout leur poids”. C’est à dire : ” tu ne les considéreras pas comme une simple fonction, paternelle ou maternelle, mais comme un homme et une femme vraiment, avec leurs qualités et leurs défauts, leurs manques, leurs réussites et leurs ratages, leur génie, leurs naïvetés, leurs désirs etc. ; comme deux vivants qui pèsent, ou ont pesé, sur la terre de tout leur poids de vivants.”

C’est, pour l’enfant, ce qu’il y a de plus difficile …

C’est à cette entreprise que s’est voué Claude Tomasi. Il nous propose ici une “vie” d’Henri Tomasi qui redonne tout son poids à ce grand compositeur, trop peu reconnu, que fut son père. A ce grand compositeur.

Ce geste est, d’abord, à prendre, sans doute, comme le mouvement d’une généalogie à rebours : c’est le fils, à présent, qui fait (re)vivre le père, manière de rembourser, si peu que ce soit possible, la dette infinie : “tu m’as donné de vivre, je te rends … que tu as vécu.”

Mais comment écrire une vie ?

Et en une petite centaine de pages, encore ? Précisément : ce n’est pas, on s’en doute, qu’il y eût peu à dire sur Henri Tomasi, mais qu’il faut, dès l’abord, lire la brièveté de cette biographie comme une première délicatesse. Ce livre, cette vie d’Henri Tomasi, dit surtout qu’un livre ne saurait être une vie ; que si Claude, ici, évoque, convoque, voire provoque Henri, qu’il l’appelle, le rappelle, se rappelle, nous le rappelle, Henri n’est pas dans le livre, il n’y est pas enfermé, que c’est par ses blancs autant que par ses lignes écrites, d’ailleurs douces, amoureuses, attentives à l’extrême, que Claude Tomasi nous fait entendre Henri Tomasi , et que celui-ci a pesé de tout son poids de vivant sur notre terre. Que “graphie” ici est moins que “bio”, et que jamais le fils ne sera quitte de tout ce qu’a donné le père.

C’est, semble dire le livre sans cesse, qu’il existe une autre biographie d’Henri Tomasi, plus “juste”, sans doute, que celle-ci, et qui est la musique d’Henri Tomasi. Et que c’est comme l’on voit encore la lumière d’une étoile depuis longtemps disparue qu’il nous faut entendre la musique de cet homme qui n’est plus : elle est, ce qui, de sa vie, s’est écrit.

Pourtant, on entend bien une voix dans cet écrit, et qui enchante… Est-ce Claude Tomasi, dans ce livre, qui, à l’écoute d’Henri Tomasi, a fait de sa vie une musique, ou bien, la musique qui, pour Henri Tomasi, était déjà l’écume d’une vie, la sienne. Quoi qu’il en soit, le livre s’écoute plus qu’il ne se lit. Juste retour des choses : la musique que fit celui qui fut cette voix est, aura toujours été, une musique qui écoute. Oui : parce qu’Henri Tomasi fut un homme préoccupé du monde, un véritable messager d’humanité, et qu’en lui éthique et musique se traduisaient sans relâche dans la langue l’une de l’autre, sa musique, ouverte et savante à la fois, nous fait entendre que toute musique est d’abord écoute de l’autre. Elle semble non pas plénitude, non pas massivité, non pas autorité, fussent-elles sublimes, mais le bruissement harmonieux que ferait notre propre écoute à venir, notre écoute de quelque chose d’autre qu’elle, et que nous. C’est une musique qui nous rend les origines.

Pour avoir été le récitant de Tipasa, texte d’Albert Camus, je puis dire mon émotion lorsque j’entendis pour la première fois l’orchestre de Philippe Bender jouer du Tomasi : une pluie d’avant la pluie, une mer d’avant la mer, une montagne d’avant la montagne étaient là, à portée d’oreille. Et tout cela, non pas illustrait, mais écoutait Camus, son texte, ses idées. C’est qu’Henri Tomasi était un passeur, et sa musique est une traduction : celle, en une langue d’avant les langues, de ce que nous avions toujours pris pour du silence, et du tu.

La musique d’Henri Tomasi est encore inouïe.

Il était peut-être écrit sur les portées de son destin que son écriture musicale ne serait pas reconnue, aujourd’hui encore, comme elle devrait. Mais, grâce à ce petit grand livre, on entend déjà au loin, à travers les doutes, les colères, les amours de l’homme, son génie. Cela aussi est écrit.

 

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